Naïma Quartet à Crest
L’avantage du concours de Crest Jazz Vocal est qu’il donne l’occasion d’écouter une deuxième fois la formation lauréate et d’en apprécier différemment la prestation, d’accorder un peu plus d’attention à chaque musicien. Le set reprend la liste présentée hier sur la place de l’église, la pression en moins, une surprise et un rappel en plus.
Démarrer le set par Naturally d’Abbey Lincoln est un excellent choix, un titre à l’image du quartet, des paroles qui leur vont comme un gant, un tantinet impertinentes, un tantinet militantes, teintées d’humour de bon aloi, et un arrangement qui met tout de suite en place les connexions avec le public. L’introduction a capella par Naïma fait toujours son effet, capte immédiatement l’attention ; l’entrée de la section rythmique est franche, sobre, et vous donne tout de suite l’envie de claquer le 2-4 avec les doigts. Thomas Doméné lâche ses balais pour les baguettes, fait discrètement monter l’énergie en soutien du premier chorus de piano tenu par Jules Le Risbé tout en fraîcheur et en naturel. Assurément, ces gens-là ne vont pas nous envoyer de la poudre aux yeux (they won’t tell us no lie), et dès la fin du premier morceau, tout le monde en est convaincu, Naïma quartet is so lovely, naturally.
Une petite intro façon ragtime, et voilà Nice work if you can get it, dont le tempo rapide ajoute un petit défi pour la diction. Aujourd’hui, c’est John Owens qui prend la parole après le stop chorus, pour mieux la laisser au piano et terminer par un 4-4 enlevé avant de s’effacer devant la voix de Naïma qui joue sur les registres, les harmonies, se fait délicate ou puissante, suivie au millimètre à chacune de ses variations par le trio rythmique de choc.
Ceux qui étaient en deuxième séance attendaient Born to be blue, et ça n’a pas manqué. Emportant avec lui toute la Camargue, Jules Le Risbé, le pianiste le plus connu à l’Est du Vidourle, lâche les quatre-vingt-huit touches du piano pour les deux claviers de l’orgue, pendant que Naïma passe à la basse électrique. Le blues est bien rond, le petit coup d’épaule est toujours efficace, la batterie entraîne tout le monde avec style, les breaks sont carrés, et pour finir une septième majeure qui ravit les connaisseurs.
Pour Your Lines, composition de Naïma, le quartet a l’élégance d’inviter les trois chanteuses du groupe “Selkies”, lauréates du prix de la création délivré par la Sacem. Nirina Rakotomavo, Céline Boudier et Camille Durand se fondent rapidement dans la musique, dont elles ont capté le côté le plus africain de l’Irlande qui en émane. La guitare électro-acoustique tranche avec le son bien électrique de la basse, les backs vocaux soutiennent les chorus, les chœurs prennent finalement le dessus pour conclure cette expérience commune.
The Peackoks marque le retour au calme et à la sensualité, ballade interprétée en duo piano-voix ; cette seconde écoute permet d’apprécier le travail de l’accompagnateur, notamment dans les passages où les harmonies prennent les chemins de traverse. Jules Le Risbé gratifie sa “chanteuse de jazz” d’un chorus gracieux et épuré.
L’introduction vocale à One or Two, seconde composition du groupe, seulement accompagnée par quelques harmoniques à la contrebasse, est très différente de celle présentée la veille, témoin du naturel avec lequel la formation aborde ses concerts. John Owens prend le chorus et enflamme littéralement la scène. Tout le monde se prend au jeu ; la contrebasse reprend les descentes chromatiques de la guitare, quelques riffs bien affûtés bousculent le rimshot et le morceau se termine en apothéose générale et jubilatoire.
Pour le rappel, Tight de Betty Carter permet de se séparer sur une note rafraîchissante.
Il ne reste plus qu’à attendre patiemment pendant les prochaines cinquante et une semaines pour profiter du Naïma quartet pendant tout un concert, avec un nouveau défi pour Naïma quartet : au moins un chorus de basse ou de contrebasse, et un grand solo de batterie pour Thomas Doméné.
Michel Perrier & photos Marion Tisserand